Lorgues

Casimir DAUPHIN
( 1820-1888 )

 Mais Dauphin va s'en aller aussi, vers cette Égypte francophone en pleine modernisation, où tant de Français, et de Provençaux, s'installent dans le sillage de nombreux ex-saint simoniens et fourriéristes. Il ne devait pas en manquer dans les milieux que fréquentait Dauphin. Rendant compte de la publication des Bastidanos, le journal radical Le Petit Var écrit (25 octobre 1880) : " L'auteur des Bastidanos est un provençal, c'est un Toulonnais d'adoption ; il a vécu parmi nous de longues années, et ce n'est qu'après le deux décembre, que ne trouvant plus ici de sécurité, ni pour le travail des bras, ni pour celui de la pensée, qu'il a quitté la France pour l'Egypte, emportant dans son cur la religion de son pays et celle de la poésie ; il y continue son exil, volontaire actuellement, pensant amoureusement à l'un, et caressant l'autre de la même manière " [8]. _Aussi difficile qu'ait été la vie de Dauphin, le " lendemain du 2 décembre " n'est pas à prendre au pied de la lettre. _La préface des Bastidanos (1878) indique qu'il vit en Egypte " Partéri su la mar qué loungés, / Prouvenço, dé tei bords flouris, / Per lou rivagé d'Osiris ". Et la pièce qui suit, " A la Prouvenço ", indique qu'il a quitté la France depuis dix ans " Souvent m'en vaou per la pensado, / Din toun air blu tout parfuma. / Dé n'en récébré uno bouffado / despui dex ans siou affama ". _L'arrêt de la cour d'appel d'Alexandrie que nous évoquions plus haut précise que Dauphin bey, inspecteur de l'Instruction publique, a, pour cause de grave maladie cardiaque, été mis en disponibilité le 1er avril 1888 avec 11 ans, 8 mois et 21 jours de service. Il a donc occupé ce poste important à partir de 1876. Qu'a-t-il fait en Egypte entre 1868 et 1876 ? Nous y reviendrons. _Mais pour l'heure focalisons sur Lei Bastidanos, dont Le Petit Var écrit, dans le même article : _" Les Bastidanos sont une gerbe de poésies que l'auteur avait publiées successivement à Toulon et à Marseille : Paul, Marieto, lei Pins, lei vieils camins, Guilhen lou fada et de celles qu'il avait coupé sous le même soleil, mais éclos sous celui brûlant de l'Egypte " [8]. _On peut ajouter à ces publications antérieures " La Muso provençalo ", que Dauphin complète en saluant Mistral, mais un Mistral dont il ignore superbement la graphie en écrivant " Mistraou "... _Dauphin ne date pas les pièces des Bastidanos, et l'on peut effectivement supposer que celles dont on ne trouve pas trace de publication antérieure ont été achevées ou reprises en Égypte . Toutes ont en commun cette même nostalgie villageoise et ce même amour de la nature provençale des collines et des forêts. Toutes, sauf une, " Charlot lou Sourda et lei Fourniguos " (pp.157-167). _Le protagoniste, Charlot, apparaissait déjà dans une pièce villageoise de 1854, Marieto, comme simple paysan, un conscrit que le long service militaire sépare de son amour Marieto. _Mais ici c'est bien autre chose. Charlot a dû faire sept ans de service, il a été soldat de la conquête coloniale en Algérie, et soldat de la répression civile. Certes, dénoncer cette répression (celle du Coup d'État) n'est plus une audace en 1878, dans le nouveau climat créé par la victoire des républicains. (L'audace serait de dénoncer la terrible répression anti-communarde). _Mais faire le lien avec la guerre d'Algérie est rarissime. Faut-il rappeler comment l'opinion française, dans toutes ses nuances, approuva la conquête, et combien les républicains de 49-51 comptaient sur l'armée d'Algérie... C'est dans l'horreur de la guerre coloniale que Dauphin voit la matrice de la répression exercée sur le peuple français. On ne peut que supposer que ce texte, dont l'articulation difficile entre ses différents épisodes montre qu'il a dû être repris à plusieurs époques, a pour origine des vers écrits par Dauphin dans sa jeunesse (a-t-il été soldat) et au lendemain du coup d'État. Vers évidemment impossibles à publier à l'époque. _Et l'on trouve à la fin de ce texte une reprise du programme des radicaux sous l'Empire, reprenant celui des démocrates socialistes d'antan : plus d'armée de métier, une armée de citoyens à laquelle tous doivent participer.
[8] id. Texte intégral de l'article p.188.
 

 Fermer