Lorgues , Plassans & Emile Zola

 ( Par Alain MARCEL. 2003)

En décembre1851, à l'annonce du coup d'état du président Louis Napoléon Bonaparte, les républicains du Var se soulevèrent. Cette grande levée démocratique du département prit la forme d'une colonne qui, partie du Luc et de la Garde-Freinet , passa par Vidauban, Lorgues, Salernes et alla mourir à Aups, dispersée par les forces gouvernementales.

L'insurrection varoise de 1851 est le fil conducteur de "La Fortune des Rougon", premier des vingt tomes des ROUGON MACQUART, la grande saga d'ÉMILE ZOLA. " L'histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second Empire" .

La Fortune des Rougons, dépeint les origines de cette famille dont Plassans est la ville de départ et qui de là va se disperser à travers la France.

Plassans-Aix

Plassans le berceau de la famille c'est Aix en Provence. Le plan que le romancier a dessiné de la ville l'atteste clairement. On peut facilement identifier les lieux (Saint-Saturnin est l'actuel Saint-Sauveur, la place Récollet est la place des Prêcheurs, le cours Sauvaire est le cours Mirabeau). D'autre part le récit abonde en allusions à l'histoire locale et en souvenirs autobiographiques. Il est vrai que Lorgues reproduisait à cette époque, dans le Var et en plus petit, certains traits poliques et moraux ( résidence nobilaire et religieuse, prépondérence du royalisme le plus conservateur...) qui caractérisaient Aix pour les Bouches du Rhone. Mais le romancier n'est certainement jamais venu à Lorgues, il n'y a aucune trace dans ses dossiers de préparation de la "Fortune des Rougon" d'un éventuel passage dans la ville ni d'un voyage sur les traces de la colonne des insurgées. Comme l'explique son ami Paul Alexis : " à cette époque, il n'avait ni les loisirs ni l'argent nécessaires pour aller revivre quelques jours en Provence et y prendre des notes" .
Le nom Plassans a été inventé par Zola, vraisemblablement à partir de celui de Flassans. Quant au nom des Rougon-Macquart, le fait qu'il existe à Lorgues un quartier des Rougon ne permet aucune déduction facile. Ce nom est très commun en Provence.
( voir les différents noms envisagés par Zola)


Aix. fontaine de l'Hôtel de ville

 


Lorgues. fontaine de la Noix

 Plassans-Lorgues

Par contre, pour raconter le mouvement insurrectionnel varois de décembre 1851, Zola s'inspire bien de ce qui s'est passé à Lorgues, où le maire et les légitimistes voulurent s'opposer aux insurgés lorsque la colonne passa dans la ville. Le romancier, emprunte à Lorgues, pour les donner à Plassans , situation géographique ainsi qu'événements insurrectionnels. " Le premier épisode aura pour cadre historique le coup d'État dans une ville de province, sans doute une ville du Var " écrivait-il dans le premier plan qu'il remit à l'éditeur Lacroix au début de 1869.

En 1851 Zola avait 11 ans et vivait à Aix avec sa mère. Il a écrit La Fortune des Rougon en 1869, au moment où il collaborait au journal La Tribune, quotidien républicain qui menait une violente polémique contre le coup d'État, en particulier contre l'ancien préfet du Var, Pastoureau. Le romancier se joint à la campagne menée contre le régime par l'opposition.
Il puise dans trois sources : un ouvrage publié juste après les évènements en 1853, par le journaliste royaliste lorguais Hippolyte Maquan, ( voir extraits) qui fut pris en otage par les insurgés, et n'hésite pas, dans sa haine du mouvement, à déformer les faits (Insurrection de décembre 1851 dans le Var. Trois jours au pouvoir des insurgés. Pensées d'un prisonnier), et deux enquêtes faites quelques années plus tard par deux républicains, Noël Blache 1869 (Histoire de l'insurrection du Var en décembre 1851) ( voir extraits), et surtout : Eugène Ténot (La Province en décembre 1851. Étude historique sur le coup d'État) ( voir extraits) , publié en 1868.

Tout en utilisant ses sources jusqu'au menu détail, il prend avec elles de grandes libertés, et ce tout à fait consciemment: " Je plierai le cadre historique à ma fantaisie, note-t-il dans son Dossier, mais tous les faits que je grouperai seront pris dans l'histoire ( livres de Tenot, Maquan, journaux de l'époque, etc. ). Je prendrai à la très curieuse insurrection du Var les détails les plus caractéristiques et je m'en servirai selon les besoins de mon récit ". Aussi lui arrive-t-il d'amalgamer des évènements qui se sont déroulés dans des endroits différents.

Zola emprunte surtout énormément à Eugène Tenot (La Province en décembre 1851. Étude historique sur le coup d'État). Voici indiqués entre parenthèses, à partir du texte de Tenot, les noms que le romancier donne aux villes dans son roman:

" Cependant, les colonnes du Luc (= Saint-Martin-de-Vaulx) et de La Garde Freinet (= La Palud) avaient décidé , après beaucoup d'hésitation et de temps perdu , qu'elles marcheraient sur Draguignan (= Noiron). Elles firent leur jonction à Vidauban (= Alboise), au milieu d'un enthousiasme et aussi d'un désordre extraordinaire."

Les insurgés passèrent la nuit du 6 au 7 décembre à Vidauban. Ils décidèrent de marcher vers Salernes (= Orchères ) en passant par Lorgues (= Plassans), " pour y rallier les insurgés de cette contrée et ceux de l'arrondissement de Brignoles (= Faverolles)" .

Voir le plan tracé par Zola.

 
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  Zola suit le récit que fait Ténot des événements de Lorgues, où il y eut, de la part du maire , du conseil et des légitimistes, " quelques velléités d'organiser la résistance "contre les insurgés. Mais ceux-ci, en dépit des ordres de leur général, Camille Duteil, désarmèrent les gardes nationaux de Lorgues, retranchés dans la mairie, dont ils enfoncèrent la porte. " Les insurgés les conduisirent dans un café voisin " Parmi les prisonniers, la plupart "ardents légitimistes", il y avait le maire, le juge de paix, les conseillers municipaux, des propriétaires, un instituteur et Maquan, rédacteur de l'Union du Var". Le maire était à l'époque Louis Courdouan * et le juge de paix, son frère Joseph Courdouan
Après le départ des insurgés, une commission révolutionnaire s'était installée à la mairie de Lorgues, "soutenue par les rares démocrates de la localité" (Ténot). Après la déroute des insurgés à Aups, le préfet Pastoureau, le colonel Trauers et la troupe repassèrent par Lorgues, le jeudi 11, ramenant avec eux les otages et environ 80 prisonniers, enchaînés deux par deux, la corde au cou . " La foule joyeuse fêtait ses otages délivrés, couvrait les soldats d'acclamations et de vivats(...) La vue d'un triste cortège vint subitement glacer toutes ces effusions. Cette fois, ce n'était plus deux, mais quatre prisonniers qui allaient mourir (...) ils marchaient attachés ensemble, sous l'escorte de quelques soldats " (Ténot)

Ces quatre insurgés furent tués derrière le mur du cimetière de Lorgues par un gendarme qui prétendait reconnaître en eux ceux qui lui avaient crevé un oeil. Parmi ces quatre hommes, se trouvait Justin Cayol, un jeune homme de 20 ans.

Zola s'inspire de cette histoire pour décrire la mort de Silvère à la fin du roman.

En conclusion, pour être tout à fait rigoureux nous devons donc dire que Zola a situé autour d'un Plassans-Aix les événements réels qui ont eu lieu dans le Var avec Lorgues pour pivot.

* A ne pas confondre avec François Courdouan son fils, médecin historien lorguais, dont une rue porte le nom. Ce dernier avait alors 21 ans et, loin de partager les idées de son père, il militait ardamment pour la défense de la République. A l'époque, il était étudiant à Montpellier et connut même la prison pour avoir protesté contre le coup d'État.


 

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